Ouistreham

« Je n’arrive pas à savoir si c’est bien ou si c’est mal ce que vous faites. » 

Tout comme la conseillère Pôle Emploi, le doute m’habite.

En trois mots ? Instructif, étayé, inabouti. So, let’s have a look !

Sorti en 2022 et avant d’être un docufiction, ce long-métrage est d’abord un récit autobiographique paru en 2010, celui de Florence Aubenas, intitulé Le quai de Ouistreham. C’est le genre de livre qui bouscule la bobo sphère parisienne quand il sort mais tombe vite aux oubliettes, donc un p’tit film pour le raviver dix ans plus tard, pourquoi pas.

Alors, c’est quoi le pitch ? Marianne Winckler, écrivaine reconnue, entreprend d’écrire un livre sur le travail précaire. Elle s’installe près de Caen et rejoint incognito une équipe de techniciens de surface à bord d’un ferry. Confrontée à la fragilité économique et à l’invisibilité sociale, elle découvre dans le même temps l’entraide et la solidarité qui unissent ces travailleurs. Mais jusqu’à quand son imposture va-t-elle perdurer ?

A mon sens, Ouistreham traite de deux sujets essentiels mais sans qu’aucun parvienne véritablement à l’aboutissement. D’une part, ce film entend mettre en lumière les conditions de travail des laborieux de l’ombre, trop souvent invisibles et pourtant si essentiels. D’autre part, il s’attaque à l’épineuse question de l’éthique de l’écrivain, sujet ô combien casse-gueule et c’est peut-être la raison pour laquelle il ne s’aventure pas trop loin à ce propos. Si le premier thème est bien brossé, le second est à mon sens délaissé et voici pourquoi :

  • La partie documentée est brute et riche. Le package solitude – isolement – invisibilité – galère d’argent est au rendez-vous, complété par de remarquables moments de solidarité ; presque trop beaux pour être vrai. « Tu es seule ? Hop, tu rencontres un homme lors d’un job-dating. Tu recherches des pairs ? Hop, tu deviens amie avec tout le groupe des désœuvrés de pôle emploi. Tu recherches une voiture ? Hop, l’amie de tes nouveaux amis t’en prête une. Tu recherches un boulot ? Hop, là encore l’amie-d’amis-d’amis te pistonne et tu atterris sur le ferry-place-to-be » . C’est dérangement linéaire car force est de constater que tout est servi sur un plateau à Marianne Winckler et également dérangement romancé ; mais bon, le film est censé être l’adaptation d’un récit autobiographique, donc je ne me permettrais pas de remettre en cause l’authenticité du scénario [et surtout parce que je n’ai pas lu le livre « bouuuuuh qu’elle est vilaine »].
  • La partie cas de conscience est malheureusement survolée. La question épineuse est celle de savoir si une nantie peut se permettre d’écrire un tel témoignage. Rappelez-vous, ce film ne relate pas les tribulations d’une femme de ménage mais celles d’une infiltrée qui, ment, abuse, berne, trompe, tout en bénéficiant de la sécurité de dire stop quand bon lui semble. Elle le fait certes avec douceur, empathie et gentillesse, mais elle le fait quand même. Dès lors, son statut et sa condition sociale l’autorisent-elle à témoigner ? Son dessein suffit-il à légitimer son action ? Ces questions demeurent en suspens et c’est là que le film échoue, à mon sens.

Et au final, on en pense quoi ? Ce long-métrage m’a laissé un sentiment d’inachevé et l’épilogue a terminé de me convaincre qu’il était quand même passé à côté de son double sujet.

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